la recherche : un temps perdu ?

1. un temps perdu ? oui

2400 pages de plaisir mauvais
à détailler la médiocrité, la mesquinerie
à faire son intéressant

à fantasmer
en groupie adolescente
aux people de son temps

à peindre un monde de tromperie
de ragots, de duplicité, de faux
de poses de carnaval

un monde de pathologies
de médisance, snob
de fuite du réel dans les mots

un monde vain
vénérant une esthétique de classe
sans fraicheur
où les œuvres d’art ne sont là
que comme indices de rappel
de scènes qui toutes rejouent
un fort-da torturant
un écroulement passé
un trauma incicatrisable

un monde vu par un cadavre
où tout est rempli
par ce qui n’est plus

où le raffinement est toujours sali
par l’intrusion du seul réel qui compte
celui de l’effraction
de la pulsion irrépressible
l’homosexualité des femmes
mais uniquement dans ses passages à l’acte
le cuissage, les lolitas, le voyeurisme jaloux
le masochisme et la pédophilie
l’homosexualité masculine comme norme ou prestige
la sexualité qui s’achète et se vend
comme une addiction honteuse de bon ton

les onze milles verges d’appollinaire
sont autrement moins faux-cul
pour dépeindre
le même milieu de la même époque
elles assument leur obsession pornographique
en bon vivant
personne n’y ment
personne ni ne s’y ment

la recherche est un monde
toujours orienté vers le passé
ou vers l’absence
jamais vers l’ici et maintenant connecté simplement au monde
toujours dans la saturation symbolique
dans le sens et le commentaire
dans la bouillie substitutive autoérotique des phrases sans fin

un monde où
les mots ne renvoient pas aux choses
ils sont frottés pour leur pelures
les fleurs ne valent que pour leurs pétales
les robes y sont des dessous
des fétiches
des substituts de corps pleins

un monde du passe-temps
de l’ombre
du temps mort
du renoncement
sans orgasme
sans solaire
sans authenticité

une perpétuelle tension excitée
sans release

un monde où la vérité n’existe pas
où la confiance est impossible

un monde qui déploie des centaines de pages
à décrire des femmes riches entretenues vulgaires bêtes et méchantes
seule une mauvaise commère
peut se délecter
à écrire autant sur ce monde de cocottes et de bêcheuses
« mme verdurin, c’est moi »

un monde sans héros
sans rôle modèle positif
masculin ou féminin
un monde où il n’y a pas d’espoir
d’amour sain, partagé, constructeur

les rares pages vibrantes et justes
sont noyées dans une démonstration de virtuosité
d’un français qui étouffe à perdre
au point qu’il faille la troupe de la comédie française
150 jours
150 heures
en temps de covid
pour le rendre accessible
afin que le livre ne tombe plus des mains

un monde sans respiration
sans espacement
sans ma-間
sans fugue
saturé comme un mauvais sanskrit

où la jouissance d’une sensation
ne vaut pas pour elle-même
mais pour sa mise en relation
sa comparaison à une autre

un monde de
fuite permanente
qui annule tout contact
avec le souffle présent de la vie

un monde de la bulle
du virtuel
phobique
pour les immuno-déprimés
monde de l’hyper-névrose généralisée

un monde sans montagnes

un monde d’enfant frustré
refusant que le réel
ne ressemble pas à ses contes de fées

un monde
qui ne renonce pas à la pensée magique des sortilèges
en les forçant dans l’étrangeté exotique
de la toponymie
de l’architecture
de la généalogie
du name-dropping

un monde de lutte de classes
angoissée et violente
décrivant la crispation des juifs et des bourgeois
à entrer dans les plus hauts cercles de la légitimité sociale

où tout l’enjeu de tous
se résume à la question unique
qui est supérieur à qui

monde de la vénération de la puissance
dans la soumission des autres
complexe de supériorité mégalo
révèlant son envers permanent
la certitude de n’avoir rien pour plaire
d’être incomplet
à jamais insuffisant

un texte hypocrite
aussi hypocrite que l’hypocrisie de charlus
albertine est un albert
et le lecteur ne devrait pas être contraint
de faire semblant de croire le contraire

un monde
sans virilité adulte
sans féminité adulte

un monde de
l’apologie de la douleur
de la souffrance
pour justifier l’art

un monde rationalisant
la procrastination a posteriori
pour justifier l’oeuvre

il n’y a pas
dans la recherche
de célébration du vrai et du juste
du monde tel qu’il est
mais une glorification
une mise en scène encyclopédique
de tous les mécanismes de défense

sa psychologie des personnages
n’est pas la psychologie générale humaine

non le mensonge, l’inauthenticité
la méchanceté, la petitesse
l’obsession de l’identité sexuelle
le tabou et l’hentai
ne forment pas
l’universel de l’expérience des vivants

le monde n’est pas
le vice
le réel n’est pas
un lounge infernal
un purgatoire rococo

alors pourquoi perdre autant de temps
dans un monde qui n’inspire pas
qui ne donne pas envie
mais plutôt la nausée

2. un temps perdu ? non

on ne choisit pas
son milieu
son époque
son corps

on ne choisit pas
de naître malade
une enfance malade
une vie de malade

qui pourrait reprocher à un souffrant
les effets de sa maladie
les recherches
où qu’elles se trouvent
des étincelles de la vie

aussi problématique
aussi peuplée de gargouilles soit-elle
comment ne pas être stupéfait
devant une cathédrale
élevée par un homme seul
sans santé

un homme
dont la procrastination mise en avant
pourrait presque masquer
la prouesse de héro
la discipline surhumaine
la victoire sur soi
requises pour en faire un si long récit

alors que le souvenir du livre se dissout
progressivement en nous
tous les traits négatifs
de son univers particulier
s’effacent
pour ne briller que de l’universel
du hors-temps
qu’il honore

« chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition »

la recherche crée ce paradoxe
ajouter du bon, du beau, du sens au monde
en dépeignant un monde insignifiant
où le bon le beau n’existent pas

mais la recherche apporte davantage
nous gratifie d’un don
que seul l’art à son sommet permet

la recherche nous transforme

on n’est plus le même
avant et après
l’avoir terminée

elle nous donne accès
elle nous rend l’accès
à une expérience du monde
qu’on ne pourra plus jamais oublier

une expérience
qui enrichit notre relation au monde
notre présence au monde
notre jouissance du monde
notre vie de vivant

le temps devient soudain plus épais
le présent plus profond

nos spécificités
nos limites
nos atermoiements
deviennent connectés
au plus grand que nous
et qui nous honore

le temps consacré à la recherche
n’est pas un divertissement
cette œuvre n’est pas
de la littérature

la recherche est une expérience philosophique
existentielle
similaire à celles
rarissimes dans une vie
des meilleurs cabinets psy
des lieux sacrés les plus justes

mais une expérience non thérapeutique
car il n’y a pas de soin
à être vivant
et non gnostique
car elle se cantonne aux heures humaines

la recherche est une cathédrale
dans le sens où elle réaccueille
dans la communauté des vivants
dans l’éternité de l’impermanence
rend possible la communion

la joie y vient d’y sentir
d’autres paumes
dans un univers fait d’évitement

alors que le temps ralenti du texte
décrit une fuite continue du présent
la transe produite par sa phrase confusionnante
nous invite à nous baigner
avec bonheur
dans l’étoffe
riche
claire
de l’ici-maintenant

nous relie à la chaîne d’or
de toutes les âmes

nous redonne
dans le détail de la petitesse
la fierté de la noblesse
la grandeur
du genre humain