la lecture


即讀書聲 par 倪思-Ni Si (1147-1220)

松聲
澗聲
山禽聲
夜蟲聲
鶴聲
琴聲
棋子落聲
雨滴階聲
雪灑窗聲
煎茶聲
皆聲之至清者也
而讀書聲為最
聞他人讀書聲
已極可喜
更聞子弟讀書聲
則喜不可勝言矣

le chant
du pin
du cours d’eau dans la vallée
de l’oiseau en montagne
des insectes le soir
de la grue
du qin-古琴
de la pièce d’échec
des gouttes de pluie sur les marches
de la neige contre la fenêtre
de l’eau qui bout pour le thé
sont tous les plus purs des sons
mais le meilleur est celui de quelqu’un qui lit
et si le son d’une lecture
est le plus grand bonheur
alors entendre une lecture faite par un élève
est une joie indescriptible

ce poème pourrait expliquer une annotation que l’on trouve au début de la 4ème partie du morceau de qin-古琴 trois variations sur la fleur d’ume (梅花三弄).
source : http://www.silkqin.com/02qnpu/07sqmp/sq19mhsn.htm

la recherche : un temps perdu ?

1. un temps perdu ? oui

2400 pages de plaisir mauvais
à détailler la médiocrité, la mesquinerie
à faire son intéressant

à fantasmer
en groupie adolescente
aux people de son temps

à peindre un monde de tromperie
de ragots, de duplicité, de faux
de poses de carnaval

un monde de pathologies
de médisance, snob
de fuite du réel dans les mots

un monde vain
vénérant une esthétique de classe
sans fraicheur
où les œuvres d’art ne sont là
que comme indices de rappel
de scènes qui toutes rejouent
un fort-da torturant
un écroulement passé
un trauma incicatrisable

un monde vu par un cadavre
où tout est rempli
par ce qui n’est plus

où le raffinement est toujours sali
par l’intrusion du seul réel qui compte
celui de l’effraction
de la pulsion irrépressible
l’homosexualité des femmes
mais uniquement dans ses passages à l’acte
le cuissage, les lolitas, le voyeurisme jaloux
le masochisme et la pédophilie
l’homosexualité masculine comme norme ou prestige
la sexualité qui s’achète et se vend
comme une addiction honteuse de bon ton

les onze milles verges d’appollinaire
sont autrement moins faux-cul
pour dépeindre
le même milieu de la même époque
elles assument leur obsession pornographique
en bon vivant
personne n’y ment
personne ni ne s’y ment

la recherche est un monde
toujours orienté vers le passé
ou vers l’absence
jamais vers l’ici et maintenant connecté simplement au monde
toujours dans la saturation symbolique
dans le sens et le commentaire
dans la bouillie substitutive autoérotique des phrases sans fin

un monde où
les mots ne renvoient pas aux choses
ils sont frottés pour leur pelures
les fleurs ne valent que pour leurs pétales
les robes y sont des dessous
des fétiches
des substituts de corps pleins

un monde du passe-temps
de l’ombre
du temps mort
du renoncement
sans orgasme
sans solaire
sans authenticité

une perpétuelle tension excitée
sans release

un monde où la vérité n’existe pas
où la confiance est impossible

un monde qui déploie des centaines de pages
à décrire des femmes riches entretenues vulgaires bêtes et méchantes
seule une mauvaise commère
peut se délecter
à écrire autant sur ce monde de cocottes et de bêcheuses
« mme verdurin, c’est moi »

un monde sans héros
sans rôle modèle positif
masculin ou féminin
un monde où il n’y a pas d’espoir
d’amour sain, partagé, constructeur

les rares pages vibrantes et justes
sont noyées dans une démonstration de virtuosité
d’un français qui étouffe à perdre
au point qu’il faille la troupe de la comédie française
150 jours
150 heures
en temps de covid
pour le rendre accessible
afin que le livre ne tombe plus des mains

un monde sans respiration
sans espacement
sans ma-間
sans fugue
saturé comme un mauvais sanskrit

où la jouissance d’une sensation
ne vaut pas pour elle-même
mais pour sa mise en relation
sa comparaison à une autre

un monde de
fuite permanente
qui annule tout contact
avec le souffle présent de la vie

un monde de la bulle
du virtuel
phobique
pour les immuno-déprimés
monde de l’hyper-névrose généralisée

un monde sans montagnes

un monde d’enfant frustré
refusant que le réel
ne ressemble pas à ses contes de fées

un monde
qui ne renonce pas à la pensée magique des sortilèges
en les forçant dans l’étrangeté exotique
de la toponymie
de l’architecture
de la généalogie
du name-dropping

un monde de lutte de classes
angoissée et violente
décrivant la crispation des juifs et des bourgeois
à entrer dans les plus hauts cercles de la légitimité sociale

où tout l’enjeu de tous
se résume à la question unique
qui est supérieur à qui

monde de la vénération de la puissance
dans la soumission des autres
complexe de supériorité mégalo
révèlant son envers permanent
la certitude de n’avoir rien pour plaire
d’être incomplet
à jamais insuffisant

un texte hypocrite
aussi hypocrite que l’hypocrisie de charlus
albertine est un albert
et le lecteur ne devrait pas être contraint
de faire semblant de croire le contraire

un monde
sans virilité adulte
sans féminité adulte

un monde de
l’apologie de la douleur
de la souffrance
pour justifier l’art

un monde rationalisant
la procrastination a posteriori
pour justifier l’oeuvre

il n’y a pas
dans la recherche
de célébration du vrai et du juste
du monde tel qu’il est
mais une glorification
une mise en scène encyclopédique
de tous les mécanismes de défense

sa psychologie des personnages
n’est pas la psychologie générale humaine

non le mensonge, l’inauthenticité
la méchanceté, la petitesse
l’obsession de l’identité sexuelle
le tabou et l’hentai
ne forment pas
l’universel de l’expérience des vivants

le monde n’est pas
le vice
le réel n’est pas
un lounge infernal
un purgatoire rococo

alors pourquoi perdre autant de temps
dans un monde qui n’inspire pas
qui ne donne pas envie
mais plutôt la nausée

2. un temps perdu ? non

on ne choisit pas
son milieu
son époque
son corps

on ne choisit pas
de naître malade
une enfance malade
une vie de malade

qui pourrait reprocher à un souffrant
les effets de sa maladie
les recherches
où qu’elles se trouvent
des étincelles de la vie

aussi problématique
aussi peuplée de gargouilles soit-elle
comment ne pas être stupéfait
devant une cathédrale
élevée par un homme seul
sans santé

un homme
dont la procrastination mise en avant
pourrait presque masquer
la prouesse de héro
la discipline surhumaine
la victoire sur soi
requises pour en faire un si long récit

alors que le souvenir du livre se dissout
progressivement en nous
tous les traits négatifs
de son univers particulier
s’effacent
pour ne briller que de l’universel
du hors-temps
qu’il honore

« chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition »

la recherche crée ce paradoxe
ajouter du bon, du beau, du sens au monde
en dépeignant un monde insignifiant
où le bon le beau n’existent pas

mais la recherche apporte davantage
nous gratifie d’un don
que seul l’art à son sommet permet

la recherche nous transforme

on n’est plus le même
avant et après
l’avoir terminée

elle nous donne accès
elle nous rend l’accès
à une expérience du monde
qu’on ne pourra plus jamais oublier

une expérience
qui enrichit notre relation au monde
notre présence au monde
notre jouissance du monde
notre vie de vivant

le temps devient soudain plus épais
le présent plus profond

nos spécificités
nos limites
nos atermoiements
deviennent connectés
au plus grand que nous
et qui nous honore

le temps consacré à la recherche
n’est pas un divertissement
cette œuvre n’est pas
de la littérature

la recherche est une expérience philosophique
existentielle
similaire à celles
rarissimes dans une vie
des meilleurs cabinets psy
des lieux sacrés les plus justes

mais une expérience non thérapeutique
car il n’y a pas de soin
à être vivant
et non gnostique
car elle se cantonne aux heures humaines

la recherche est une cathédrale
dans le sens où elle réaccueille
dans la communauté des vivants
dans l’éternité de l’impermanence
rend possible la communion

la joie y vient d’y sentir
d’autres paumes
dans un univers fait d’évitement

alors que le temps ralenti du texte
décrit une fuite continue du présent
la transe produite par sa phrase confusionnante
nous invite à nous baigner
avec bonheur
dans l’étoffe
riche
claire
de l’ici-maintenant

nous relie à la chaîne d’or
de toutes les âmes

nous redonne
dans le détail de la petitesse
la fierté de la noblesse
la grandeur
du genre humain

les robes

après ma soutenance de thèse
et la veille de la naissance non attendue
de ton premier oncle
celui que je n’ai jamais pu aimer
j’ai compris que
dans notre guerre
les hommes sont des robes
dont on s’habille pour plaire
aux autres femmes

une robe doit être signée
d’un cachet identifiable
elle doit t’aller intégralement
mettre en valeur ton corps
en toutes circonstances

ce n’est pas à ton corps
à s’adapter à la robe

trop longue elle te ferait trébucher
trop courte elle te rend ridicule

toutes les robes
ne nous vont pas à tout âge
les modes changent
les tissus s’usent
se tâchent
on en perd en voyage

une robe rapiécée
ou à trous bien placés
on peut la porter l’été
ou en week-end
jamais sur son lieu de travail
ou au bridge

une robe
ça ne doit pas avoir de plis mal repassés
ce ne doit pas être vulgaire
ni diminuer notre féminité

une belle robe impose
pour mieux s’effacer
devant notre personnalité

elles nous révèlent
sans rien dire
vois comme c’est beau
sans rien dire
sans rien dire

le tissu doit être du plus grand luxe
sans trahir son prix
ses couleurs ses motifs
seront raffinés
mais d’une humilité effacée
comme s’excusant
d’avoir dû utiliser
tant d’heures et d’expertises
épuiser tant d’yeux et de mains
pour exister pour nous

une vraie robe ne demande que peu d’entretien
se range et se sort facilement du placard
sans nous donner le sentiment de se plaindre
comme nos petits chiens dont on oublie la promenade

une robe se laisser retailler
sans susciter la culpabilité d’un sacrifice

et en fin de vie
cela fait de beaux chiffons

qu’on est fière de donner
aux bonnes œuvres

j’ai senti dans ma gorge ce jour-là
qu’il n’y avait rien à espérer pour nous ici-bas

alors fais
des hommes
ces écrins
de notre insignifiance

l’honnête femme

ma fille je vois bien que tu n’es pas bien
regarde moi tes cernes
tu gardes tout en toi depuis deux semaines
mais là ça suffit
raconte moi ce qui se passe

alors mais là oui
c’est vraiment une situation de crise

à ton âge tu sais bien que cette histoire
c’est ta dernière chance
l’ultime
toutes tes amies vont se moquer de toi
imagine leurs rires derrière ton dos

tu ne peux pas laisser passer cette occasion
c’est vraiment la dernière
tu dois lui mettre le grappin dessus
et serrer les dents
même si tes paumes saignent

je peux t’assurer que
tu ne veux pas te retrouver
vieille comme moi
à dépendre tous les mois
de la pitié d’un de tes enfants

bien sûr que oui
tu as bien fait de lui mentir
s’il te croit beaucoup plus vive
beaucoup plus cultivée que tu ne l’es
alors surtout continue de faire semblant

s’il a gardé le souvenir qu’il avait de toi il y a trente ans
s’il découvre que tu as gâché tant de tes potentiels
par tes choix passés
alors c’est garanti
il va fuir
tu vas mettre deux ans à digérer l’histoire
et tu seras bien trop vieille alors pour qui que ce soit
je te rappelle que tu as trois ans de plus que lui

pour faire semblant
ce qui marche à tous les coups
c’est de rester impassible
n’exprime aucune opinion

s’il te demande ce que tu penses de quelque chose
la technique c’est de lui retourner sa question
puis de broder à partir de sa réponse

si tu répètes cette astuce plusieurs fois
en restant bien froide
bien supérieure
alors il va croire que c’est lui
qui est inférieur

et c’est cela la clé
les hommes il faut les contrôler
il faut les dominer de la tête
ou à tout le moins leur faire croire
qu’on les domine de la tête
c’est déjà bien assez qu’ils nous écrasent
quand ils sont sur nous

mais surtout rassure-le pour son corps
ne lui parle pas de ses cheveux
ou de ses fesses molles
répète-lui plusieurs fois par jour
que c’est un apollon
qu’il te plait physiquement

à votre âge il est juste à la frontière
il a besoin d’entendre cela
c’est avec ce truc qu’on les ferre

et de ton côté bloque au moins
trente minutes de plus par jour
pour maquillage démaquillage
vêtements et crèmes de soin

tes cheveux courts si agréables l’été
je suis bien d’accord avec toi
c’est fini
désormais c’est au moins un carré
donc compte quinze minutes supplémentaires
pour ton brushing

en gros le petit carnaval dont ont besoin les hommes
cela nous coûte une heure quotidiennement
mais cela ne dure que six mois
un an au plus
après tu pourras te laisser aller
comme avec ton ex-mari

ou bien tu le continueras
pour exaspérer tes copines

je suis d’accord
le problème avec cet homme
c’est son dada
surtout ne va pas dire que cela te fait peur
surtout ne lui dis pas que tu n’y comprends rien
et que tu n’aimes pas
complimente-le

nous serions toutes comme toi
des masques précolombiens sur tous les murs
c’est à en faire des cauchemars
s’il te donne une leçon sur ses poteries primitives
ne lui parle surtout pas des gien de ton oncle

alors je sais bien c’est compliqué
ne pas révéler son ignorance
et lui faire croire que tu t’intéresses
à ses bidules quand ce n’est pas le cas
c’est comme pour son corps
il faut que tu jongles

fais semblant d’être curieuse
laisse-le faire son fier
à t’expliquer son hobby
et fige bien ton visage
pour ne pas laisser passer
que tu n’aimes pas

pourquoi ne passerais-tu pas à la librairie
pour te faire recommander un livre sur le sujet
tu marquerais des points faciles
en le surprenant avec un ou deux mots de son charabia

la règle d’or c’est de fermer sa mouette
ce qui est facile
puisque comme c’est un homme
il va te la fermer pour toi
en te faisant bien comprendre
à quel point tu n’y connais rien

pour son dada
et pour son dada exclusivement
laisse le pavaner
dominer
faire son coq
après tout
tu as de la chance que ce ne soit pas
la chasse

et puis surtout surtout
ne dis jamais
que tu n’es pas d’accord
si les hommes pensent
que nous avons des idées personnelles
différentes des leurs
ça les attaque dans leur virilité
et ils nous jettent

il doit te penser comme un esprit supérieur
confortant
validant son univers
le seul
l’unique possible

alors fais-toi vive
cultivée
oui je sais c’est fatiguant
et si tu ne l’es pas suffisamment
fais semblant ou fais la supérieure

parce que toutes tes angoisses actuelles
s’il venait à te dire que tu ne l’intéresses plus
s’il te jette parce que tu l’ennuies
cela vient du fait
que nous payons
notre sécurité
en n’étant
qu’uniquement

des faire-valoir

le glaçon lune

je suis un glaçon
un très beau glaçon
de ces glaçons que le barman
dans les hotels de luxe
sculpte

je suis enceinte
de huit mois
mon ventre ressemble
à un gros glaçon rond

je suis jeune
mon corps est parfait
ses lignes sont celles
d’un vase lune
je suis aussi froide
que la lune

c’est l’été en montagne
je montre à tous
toutes les lignes de mon corps

mon vêtement de yoga
en stretch
est un deux pièces

le bas couvre mes cuisses
jusqu’à mon pubis
le bas montre mes cuisses
jusqu’à mon pubis
le haut couvre mes seins
le haut montre mes seins pleins

entre le bas et le haut
mon ventre lune
parfait
est nu
on ne cache pas la perfection

mon ventre est tellement beau
je suis tellement belle
que les gens détournent le regard
on ne regarde pas une déesse

je coiffe mes cheveux blonds
en tresses nouées
cela met en valeur
mes yeux qui brillent
comme l’acier chirurgical

lune et glaçon
comme une déesse exposée
à la laideur du monde
j’ai froid

mon visage a tellement froid
qu’il n’exprime rien
ma voix a tellement froid
qu’elle n’exprime rien

je suis présente en fantôme
je fais peur comme un fantôme
je n’ai pas encore compris
que je suis fantôme

mon père
n’aurait pas dû me toucher

patou

je suis une vachère
je remplace les fermiers
quand ils sont malades
ou quand ils partent
quelques jours

un jour j’aurai ma ferme
et j’appellerai l’association de la vallée
pour qu’on m’envoie une vachère

j’espère qu’elle sera aussi belle que moi
aussi coquette que moi
malgré l’écurie

moi je serai moins jolie
ça abîme vite
une ferme
une famille

mon amoureux
travaille en alpage
on se dispute beaucoup
il aurait voulu
être sportif
ou sauveteur de haute montagne

c’est le plus rapide
le plus résistant
des jeunes du coin
ma mère se moque de moi
quand je le regarde
torse nu
il sent bon

mais il est sensible
trop sensible
la compétition
le rend malade
et les accidents qu’il a vus
comme pompier volontaire
continuent à lui donner
de mauvais rêves

alors il descend
de l’alp haut
à la coopérative
trois fois par semaine
pour livrer
les fromages frais des chèvres

quand il descend
ses patous gardent le troupeau

il y a trois semaines
une génisse s’est encore faite
dévorée
vivante
par les loups

on a défilé en laissant le corps mutilé
devant la préfecture

parfois les patous attaquent les promeneurs imbéciles
ça stresse mon amoureux
on s’envoie des messages
et on trouve moyen à se disputer

notre amour aussi
est en canicule

l’onigiri

je suis le prêtre d’un petit temple en bois
un petit temple avec un beau jardin
dont je m’occupe tous les jours
les touristes ne viennent
que pour les lotus en fleur

heureusement qu’il y a les morts
parce que sans les morts
on ne survivrait pas

ma femme qui aime les ordinateurs
s’occupe des factures
pour les célébrations
et envoie les mails pour rappeler aux familles
les dates anniversaire

personne ne croit plus à rien
sauf à la peur des morts
à l’amour des disparus

j’aime le rock
je m’entraine à la guitare
avec des écouteurs
dans la pièce juste à gauche de l’autel
le bel autel patiné à la feuille d’or
avec sa vieille statue de kannon
et la statue secrète de kankiten
dont on n’ouvre plus jamais la boite

je m’emmêle parfois
dans les rituels
mais personne ne s’en aperçoit
même ma femme

alors je survis
entre deux célébrations pour les morts
en apprenant de nouveaux morceaux
sur ma guitare électrique

quand il fait chaud
surtout quand il fait très chaud l’été
je fais de longues siestes

de toute façon
personne ne vient

si c’est pour un mort
on est prévenu par téléphone
ou par mail sur le site
donc j’ai le temps de remettre de l’ordre
dans ma tenue et sur l’autel

je faisais ma sieste
celle de 13h30
la longue
quand tu m’es venu en rêve

tu étais là tu rigolais
bien gras
bien jovial
bien pauvre
un beau moine mendiant des siècles passés

les couleurs de ton vêtement sont passées
la fibre usée
ton crâne n’est pas rasé de près
mais tu fais plus saint
que tous les supérieurs de la ville d’aujourd’hui

je te vois sourire
assis en tailleur
devant l’autel
tu as l’air en visite
mais chez toi

toutes les vieilles
tous les vieux du quartier
sont venus te voir

tu tends ta main droite vers ta droite
et une femme la tient comme elle tiendrait
la main de sa mère à l’hospice

tu tends ta main gauche vers ta gauche
et un vieux la tapote en souriant
comme il aimerait que quelqu’un
qui que ce soit
lui tapote la main

ta présence les calme
et les bénit
les autres vieux touchent les mains
de ceux qui te touchent

on dirait une ronde
une chaine d’âmes complices
qui recharge en vie
tous les présents

tout le monde sourit
parle un peu fort
comme à une matsuri d’été

des grand-mères sortent de leur sac
des onigiri
le temple est vivant

je te vois
et regarde lentement la scène
tout au ralenti
comme un extrait de film
de quelques secondes

mon visage rond te ressemble un peu
tu pourrais être
mon arrière grand-père
qui était paysan
dans une vallée du sud

moi si je suis devenu moine
c’est parce que
la famille de ma femme
m’a adopté
pour que quelqu’un
s’occupe des lotus

je te vois
et tu te tournes
vers la pièce à gauche de l’autel
tu fais glisser la cloison
et me regarde dormir

tu me souffles
des mots à l’oreille

je ne les entends pas
j’aimerai les comprendre
je te demande de répéter
mais mon corps qui dort
ne bouge pas
tu disparais

je me réveille

j’ai envie
d’un onigiri

le torchon

j’ai noué la queue du diable
comme ma grand-mère faisait
quand elle perdait ses clés

tous les enfants connaissent le rituel

prendre un chiffon
celui qu’on doit de toute façon laver
depuis dix jours
l’approcher de sa bouche
pour lui cracher dessus
en cinq salves de postillons rapides

l’insulter dans une langue
du temps des pyramides

le nouer dans un geste grandiloquent
de catcheur

et le lancer rageusement
avec mépris
au sol

le diable n’aime pas qu’on lui noue la queue
alors il arrête sa mauvaise farce
et les clés réapparaissent

je ne sais plus quand vraiment quand je l’ai perdu
mais il y a désormais des chiffons
sur le sol de toutes les pièces de la maison

j’ai refait en esprit
le chemin de mon dernier souvenir
vague
probablement reconstruit

je suis allée dans la voiture
et j’ai abîmé mes ongles
sous le siège conducteur
sous le siège passager
dans la boite à gant et le coffre

j’ai cherché à midi
et dans la nuit
avec mes lampes de poche

l’avantage de chercher si longtemps
c’est qu’on retrouve
tous les objets pour lesquels
on n’a pas noué la queue du diable

une télécommande dans un pli inaccessible du canapé
un sac derrière un lit indéplaçable
des vêtements qu’on aime
le journal de motivation du voisin
dans la voiture prêtée l’hiver dernier

les premières heures
le cœur bat fort
on sprint d’une pièce à l’autre
on fait jouer ses mollets
sur la pointe des pieds
à quatre pattes
on transpire
on peste
on s’énerve
on s’en veut
surtout qu’on est en retard au rendez-vous
qu’il faut appeler
pour s’excuser en passant pour une idiote
qu’on s’imagine le calvaire
de toutes les démarches à venir

un peu de temps passe
et comme un chat sauvage
plaqué contre un tablier de cuir pour être apprivoisé
on ne se débat plus
on bouge lentement la nuque
d’ici de là
on laisse ses yeux divaguer
paresseusement
en théorisant que c’est parce qu’on ne regardera pas
consciemment
que l’on pourra enfin retrouver l’objet perdu

après avoir tapoté deux fois
la poche de chacun de ses vêtements dans l’armoire
on regarde la pile au sol
et en chemise de nuit
avant de s’endormir
une nouvelle fois
on décide de passer la main
dans tous les plis
des vêtements des saisons passées
toutes les poches
même celles à fermeture éclair qu’on n’a jamais utilisée

on retrouve un ticket de caisse
qui déclenche un souvenir heureux
on se dit qu’il va bien falloir
remettre les robes sur leurs cintres
même celles qu’on ne peut plus porter

on monte au grenier
dont on inspecte les poutres
assise sur le sol
l’air las
on pourrait presque soupirer
mais non
la pointe d’énervement comme un poivre
reste sur la langue
rayonne doucement au palais

la pièce des ballons d’eau chaude
où je ne fais jamais la poussière
reste pareille à elle-même
au moins les ballons ne fuient pas
le fouillis piquant des machines du garage
garde son étrangeté

si j’étais parano comme ma tante
je me demanderai si tous les objets
ne se moquent pas
si les bruits de la maison
ne masquent pas leur rire
s’ils ne déplacent pas
ce que l’on a perdu
comme une équipe de basket
en se faisant des passes

je donne un coup de pied
dans le chiffon noué
sur le sol de la cuisine
et j’ai envie
de crier pouce
de reconnaître ma défaite
de pleurer que cela suffit
qu’il est temps que cela cesse
que je dois vraiment le retrouver

le sens de ma vie

yung-tsching et tching-hon ?

雍

on trouve dans le pastiche du journal des goncourt au début du temps retrouvé de proust la mention de deux types de céramiques :

  • « des assiettes Yung-Tsching à la couleur capucine de leurs rebords…« 
  • « merveilleux plat Tching-Hon traversé par les pourpres rayages d’un coucher de soleil…« 

une recherche rapide sur internet ne donne aucune réponse pour ces noms.

aucune !

ce qui conduit à deux hypothèses :

  • ces noms ne correspondent à rien et sont des éléments du pastiche : inventés 
  • ces noms correspondent à une transcription ancienne ou erronée du chinois (ou d’une autre langue asiatique). on trouve par exemple dans « ideals of the east » de okakura, des transcriptions qui, un siècle plus tard sont difficiles à identifier, alors qu’on ne peut pas soupçonner cet auteur qui a rédigé son texte directement en anglais, de racisme ordinaire suscité par un complexe

l’hypothèse de noms inventés me semble la plus probable.


ce qui surprend et qui en dit long sur la curiosité occidentale pour l’asie, c’est qu’aujourd’hui et compte tenu de l’écho du roman, internet ne propose aucun résultat pour commenter ou analyser ces lignes.

tentons d’être non pessimiste a priori et imaginons  que les appellations correspondent à des céramiques réelles simplement mal orthographiées.

a) yung-tsching : 雍正 ?

la seule possibilité semble être des céramiques de l’ère « yung-cheng » de la dynastie « ch’ing ».

ce que l’on transcrirait aujourd’hui par l’ère de l’empereur Yongzheng (雍正帝 : perfection harmonieuse) de la dynastie mandchoue qing : 1723-1735

une exposition chez sotheby’s en 2019 donne une idée de la céramique de cette période.

une photo y montre un tasse rouge « capucine »

The Age of Elegance – Qing Dynasty Yongzheng Ceramics | Chinese Works of Art | Sotheby’s

b) tching-hon : 成化 ?

pourrait-il s’agir de l’empereur ming xianzong, que l’on appelle après sa mort chenghua (成化帝 : changement accompli) : 1464-1487 ?

cette période est notamment connue pour ses « chicken cup » : des tasses de porcelaine à motifs de poulailler en 5 couleurs utilisant un cobalt chinois plus clair que celui importé plus tard.


ces tasses prisées par les cours impériales restent des symboles de la céramique chinoise : une de ces tasses a récemment été vendue aux enchères pour 38 millions de dollars…


https://en.wikipedia.org/wiki/Chicken_Cup_(Chenghua)

été 2022 à manigod

je serai jusqu’à fin août au chalet de l’ours à manigod

et serai heureux d’y accueillir les personnes intéressées par :

  • la cérémonie du thé (3h, pas plus de trois personnes à la fois)
  • le contenu du livre sorti le mois dernier : 49 notes sur la céramique et le thé (je peux me déplacer pour présenter le livre à tout type de public, y compris en petit comité)
  • les bols qui se trouvent au chalet : 20% seront offerts sur les prix affichés sur chawans.net

Contact

kuma : barbery@gmail.com

Impératif en temps de vague covid omicron ba5 : vaccination complète, absence de symptômes ou de contact avec des personnes présentant des symptômes, gestes barrières.

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